Toutes les titres de cette page sont des chants de louanges et de mantras issus de pratiques de la tradition du bouddhisme tibétain. Puisse ces mélodies issues d’une tradition authentique dont la lignée remonte jusqu’au Bouddha historique vous inspirer.
Voix : Deki Youdon, Patrick Lenoir, Umze Yeshe, Céline Annen
Saxophones : Joël Musy
Oud : Jean-Claude Renou
Batterie : Patrick Lenoir
Mixage & Mastering : Nicolas Rochat
Textes d’illustration : Jean-Marc Falcombello
Calligraphie : Lhakpa Tsering Sharley
Crédit photos : Togpa Korlo – Patrick Lenoir – Jean-Marc Falcombello
Date de sortie : 2012



Mais demander refuge et protection est aussi le signe d’un choix et d’une limite. Le choix de celui qui s’oriente à l’intérieur, en direction de sa nature la plus noble et la plus profonde, perçue et comprise comme éveillée, lumineuse et présente depuis toute éternité. Et limite, parce que cette prière dit aussi la frontière invisible qui traverse notre vie, qui nous donne sans cesse l’occasion d’un pas vers cette lumière, ou au contraire, d’un pas qui s’en écarte.
Voyage incessant d’une âme vagabonde qui passe de corps en corps et de vie en vie. Voyages à mettre au pluriel qui font de nous des « dro wa », de ceux qui vont, par monts et par vaux, en état d’être. Mystère des mots qui disent qu’en tibétain, « être » est un mouvement, sans cesse changeant et dont l’essence, pourtant, est immobile, claire et pure comme un éclat adamantin.
Prière du refuge, « kyab sou tchi », « vers le refuge allant », pour faire qu’enfin la ronde s’arrête et que l’exil prenne fin. Pour faire qu’alors le voyage se retrouve sans objet, sans but vers où aller, certain de n’être jamais parti de ce Bouddha en soi.


Om Ami Dewa Hri en est la parole secrète, le mantra aiguiseur de la conscience. À force, son passage répété par les lèvres qui murmurent affute la flèche. Le corps a demi pris par le lotus, l’esprit est tendu, fin et effilé. D’un geste, d’un souffle, la mort saura lâcher l’étreinte du corps. Et telle la flèche lâchée par l’archer adroit, d’un trait, touchera sa cible. Inutile de vouloir revenir, rebrousser chemin. La mort est sens-unique. Aller simple vers la renaissance. Alors oui, mourir, mais avec assurance.
À l’image du jour qui se couche et du ciel qui rougeoie, Amitabha est rouge sang. Vermillon et rubis. Eclatant de lumière, il flamboie. Couleur de vie, il est le Bouddha des morts. Logique, car qui sait vivre sait mourir. Il est rouge comme les théâtres à l’italienne, car la vie est un drame. Savoir entrer en scène et en sortir. Moments cruciaux, moments uniques, seuils essentiels, il vaut mieux ne pas trébucher.
Pour le cœur pur, point de crainte. Paisible comme un soleil qui se couche, la vie s’éteint et le ciel s’embrase. Baigné de lumière, le jour s’apaise. « Quiconque répétera mon nom renaîtra dans ma terre pure ». Tel est son souhait. Et formulé si fort, qu’il renoncerait à lui-même s’il devait ne pas en être ainsi. Audace et courage, Amitabha est un sanguin, un chevalier servant, le maître de la bravoure. Son cœur est flamme, amour total, refuge pour nos vies fatales, qui dans un souffle s’affale. Puissions-nous renaître en Dewatchen, là où même, le mot souffrance est absent ! Que cessent nos souffrances et que le bonheur règne ! Amitabha, tu es le rubis de la prunelle de nos vies !

Dans ce chant, les prières et paroles dévotionnelles alternent avec les mots d’introspection, qui sans détour, révèlent nos pires travers. Le dharma si pur au début est décrit comme le poison qu’il devient quand s’en mêle le calcul et les jeux égotiques. La dévotion si tendre est dépeinte comme la plus vulgaire suffisance, quand le disciple se prête à l’orgueil mal placé.
Pourtant, au cœur de ces écueils, la dévotion sans détour rappelle quel est l’enjeu, situé à hauteur de deux cœurs qui se mêlent, reconnaissant en soi la vérité ultime de l’esprit éveillé du maître dans le sien. Ouverture du cœur, la dévotion devient alors l’offrande sublime du corps, de la parole et de l’esprit. Parce que plus rien n’est retenu. Parce qu’il n’est plus nécessaire de défendre quoi que ce soit, vu que tout, déjà, est offert.


Pourfendant l’ordinaire sainteté, ils n’avaient que faire de ses atours. Adeptes de la vérité nue, ils ne confondaient pas la transcendante vertu avec la bonté souriante de celui sûr d’être dans le vrai. Apôtres du détournement, leurs festins étaient autant d’accrocs faits à la morale. Des cinq chaires et des cinq nectars, ils en prenaient la part la plus vile pour en faire la substance par excellence. Sang menstruel, urine et excréments s’accordaient alors avec la viande de chien, d’homme ou de cheval. Fidèle à cette lignée, Milarépa pissa dans le bol de Gampopa, disciple prédestiné et notable de son époque.
En ce sens, leurs festins ne peuvent se concevoir que comme un au-delà des formes, une jouissance extrême surgie de l’absolue essence, reconnue et sentie, du jeu des phénomènes. Au-delà des limites de la matière, la joie et la félicité s’élèvent quand le mal n’est plus l’ennemi du bien. Et avec elle, la clameur intense de la saveur unique, enfin retrouvée, de samsara et nirvana.


Photo – Patrick Lenoir
Un jour, le verbe prit forme et un corps en surgit. Comme à chaque fois qu’un mot se dit et qu’il fait son chemin. Om Mani Padme Houng… comme un doux mouvement des lèvres qui place en la conscience le Seigneur Blanc, qu’aucune faute ne revêt. En Inde, on dit de lui qu’il est Avalokiteshvara. Au Tibet, on dit qu’il est celui qui pose un regard sur chacun, Tchenrézi, bodhisattva de la compassion.
Son domaine est la plaine de la vacuité. C’est de là qu’il surgit, mère de toutes les formes, essence unique. Le son qui s’en échappe s’élève comme une brume sur la lande, parce que la terre mouillée s’échauffe sous les rayons. Le son se fait alors volutes, rendant visible l’air froid qui s’élève et blanche, l’haleine qui s’exhale.
Murmures et bourdonnements, le mantra est une ruche qui vrombit. Et quand l’essaim s’envole, malgré elle l’abeille dessine la forme, sans intention, sans volonté. Pareil à elle, le grain de lumière préside à la forme qui s’agence, somme innombrable de ses infimes parties.
C’est ainsi qu’en la conscience le son prend forme, que Tchenrézi se manifeste. Apparent et pourtant insubstanciel. Aussi clair et lumineux qu’un arc-en-ciel et tout autant insaisissable. Regard posé sur tous les êtres, il ouvre nos yeux sur nos semblables, abeilles et puces de chien, vermisseaux et girafes, cauchemars des pires tourments, bouches ouvertes torturées par la faim ou angoisses d’un dieu repu. Parce que l’amour est sans limite et que la compassion est infinie.


Photo – Jean-Marc Falcombello
De lui l’on dit qu’il est le deuxième Bouddha. Né du lotus, fils du pays d’Orgyen. Gourou Rinpoché, le précieux maître, a laissé sa trace dans tous les coins et recoins de l’Himalaya. Du lointain Ladakh à l’oriental Bhoutan. Pas une grotte ou un sentier où l’on ne retrouve sa trace. Omniprésence de la présence, Gourou Rinpoché est partout. Polymorphe, il prend la forme des ses vingt cinq aspects. Puissant, il change de couleur au gré de ses activités. Séducteur, il éveille la fille du roi. Pourfendeur, il vainc les ennemis du Dharma, faisant de la démone une inspirante et de l’ogre un protecteur.
Sur Hepori, à deux pas de Samyé, son souvenir est intact. Il est mémoire du lieu. Et au Tibet, chaque montagne se souvient de lui et se confond avec l’histoire. Au point où l’on se demande s’il y eut, dans ses terres hautes, un avant. Dans ce sens, Padmasambhava – un autre de ses noms, est un départ, un point d’ancrage. Il est, de ce fait, la validation totale et définitive d’un monde. Son âme et sa personne.
Entouré de ses dakhinis, princesses, femmes de rois et femmes hors la loi, il demeure dans sa terre pure, calé sur son lotus. Trident dans une main, vase d’éternité ou calotte crânienne emplie de sang – c’est selon – dans une autre, riche manteau de brocard sur les épaules, diadème et coiffe surmontée d’une plume de vautour, Gourou Rinpoché est le vainqueur dont la beauté subjugue. Tcha Tsel Lo ! À vous, je rends hommage !
Si la prière est le chemin des souhaits, monlam en tibétain, le mantra est le chemin du cœur. Il est aussi le corps sonore de la forme et l’onde perceptible de son activité. Du coup, il est présence, murmurée. Patiente présence qui fait sa place en soi.
Om A Houng Benza Gourou Péma Siddhi Houng ! Voici les mots et le mantra. Trois cops, de vacuité, de beauté et d’action. Benza Gourou, maître adamantin, solide comme le diamant. Lotus Péma, toi l’accompli ! Le sens joue avec les mots et le murmure joue avec les sons.
Puissant élixir contre toutes nos folies, son mantra est une médecine. Et avec lui, c’est toi, né du lotus, Gourou Rinpoché, précieux maître, qui m’accompagne. Des hauts plateaux aux villes d’ici, il y a des bouches qui le savourent. Cariées ou non, étincelantes ou chancelantes, elles sont de petites grottes, creusets discrets où s’élabore l’élixir.


Photo – Patrick Lenoir
Placée au confluent des influences, sa médecine s’est enrichie au cours des siècles, des conquêtes et des voyages. Science profonde, la médecine est compassion active. Et qui veut soigner doit invoquer. Devenir à son tour le vainqueur médecin, dans le subtil jeu de miroir du face à face. Plongé dans la contemplation, le médité et le méditant se fonde en un, et coule alors le nectar, pendant que dans son cœur tourne la guirlande de son mantra.
Matérialisation de la conscience, le corps est la trace de qui nous sommes, étions et serons. Et au-delà de la personne, il y a résolution de tout désordre. Parvenu au terme du chemin, médecine sublime, la confusion n’est plus. Cesse alors la souffrance, la peine et la douleur. Guérison ultime, la racine des maux se meure et resplendit le corps adamantin.
Trésor des quatre tantras, Sangyé Menla est le Bouddha médecin de tous les corps.


Photo – Togpa Korlo
Karmapa Kyenno ! Karmapa, vous l’omniscient, posez votre regard de compassion sur nous ! Expression d’une profonde dévotion, le mantra devient l’invocation du nom. Celui de Karmapa, maître des Kagyu et héritiers des yogis. Et par l’invocation, c’est la grâce du Bouddha Karmapa qui nous touche. Tout comme l’eau qui s’écoule d’une montagne neigeuse touchée par la lumière solaire, la grâce s’écoule alors quand surgit la dévotion.
Les textes sont riches de ces images qui disent si bien la présence conjointe de la dévotion et de la grâce. Car sans cette paire indissociable, il n’y aurait pas de bénédiction, et la formule resterait creuse. Mais là, au contraire, le mantra devient véhicule de la dévotion. Il est ce soleil ardent et sonore qui touche la blancheur étincelante des neiges éternelles.
Au nord, au sud, à l’est et à l’ouest, une même blancheur, impartiale. Là où le soleil l’effleure de ses rayons, de là le flot s’écoule, impartial. À ce titre, il n’est plus question d’appartenance ni de loyauté. Il est question d’ouverture au fond de soi, de lumière retrouvée et qui, dans un élan, s’échappe au dehors.
Lumineux est le mantra et profonde est la dévotion. Lama Karmapa, Bouddha Karmapa ! Puissent nos cœurs s’ouvrirent à votre grâce ! Et puisse en tous l’Eveil resplendir, dissipant les ombres qui nous entravent !